De la dinde à brésilienne à la dinde avec “farofa”

La dinde est un oiseau indigène des Amériques qui a été amené en Europe par les jésuites qui ont traversé le continent.
Jean Anthelme Brillat-Savarin, dans le livre “La Physiologie du goût” , parle des vertus culinaires de l’oiseau et de sa présence sur la table française au XIXe siècle.
Au Brésil, à la même époque, il existe des traces d’une recette avec cet oiseau rôti qui apparaissait dans les banquets spéciaux : le “Dindonneau à la brésilienne”.
La recette du “Dindonneau à la brésilienne” trouve ses racines à l’époque impériale. Lellis et Bocatto présentent des considérations historiques sur le plat. Selon les auteurs, cette production culinaire pourrait ressembler au “Faisan à la brésilienne”, une préparation que l’on retrouve dans La Grande Cuisine Simplifiée de 1845.
Il consisterait en : “un faisan farci de foie gras, de viande de bécasse, de lard et d’épices. Il était enveloppé dans du papier beurré, placé dans une poêle et ensuite rôti avec du vin de Malaga. Après avoir été rôti, il est sculpté et disposé sur un plateau, accompagné de croûtons garnis de purée de bécasse. Il est servi avec une sauce périgueux (à base de vin et de truffes). Ce plat était servi en entrée”.
Bien qu’il ne soit pas possible de confirmer l’influence directe de ce plat sur le “Dindonneau à la brésilienne”, il est “redoutable de fonder une analyse concluante sur les quelques documents (…)” ; il est clair que la terminologie à la brésilienne figurait dans la recette française (dans les livres de cuisine imprimés au Brésil, la formulation n’aurait “paru qu’en 1900”).
Les auteurs préfèrent décrire la recette du “Dinde à la brésilienne”, ou Dinde farci à la brésilienne, telle qu’elle est exprimée dans “The Popular Cook” (première édition – 1917) et affirment que c’est “le plat principal de la cuisine brésilienne et le plus attendu lors des banquets de l’Empire” : “Vous prenez la dinde, vous la pliez, vous l’ouvrez, vous la nettoyez, vous la remplissez d’une farce faite de la manière suivante : Prenez du porc, du jambon, du bacon, les enfants de la dinde, après les avoir fait bouillir, des œufs durs, du persil et des oignons verts, de l’oignon séché et du poivre comari ; hachez le tout et pétrissez-le avec de la mie de pain, ramollie dans du vin, en ajoutant du beurre, de la farine d’arachide grillée et du sel. Avec cette farce, vous remplissez la dinde sur la brochette, vous lâchez la poitrine de lard, vous mettez la dinde sur la brochette, vous l’enveloppez dans du papier glacé au beurre et vous la faites cuire”.
La même production culinaire est présente dans la collection de menus du poète parnassien Olavo Bilac (1865-1918)3, qui a vécu à Rio de Janeiro. Ce plat est présent dans plusieurs autres menus de cette collection, le dernier datant de 1916, lors d’un événement à Belo Horizonte, dans lequel il apparaîtra traduit en portugais : Peru à Brasileira.
La recette figure également sur les menus de la collection de l’intellectuel moderniste Mário de Andrade. Entre 1915 et 1940, Mário collectionne d’importants menus de banquet qu’il fréquente dans les restaurants des hôtels de São Paulo tels que la “Rôtisserie Sportsman” (1915), le “Salão Trianon” (1927), l'”Hôtel Terminus” (1937) ou la célèbre résidence appelée “Vila Fortunata” (1924), qui se trouve sur l’actuelle Avenida Paulista. Dans la plupart des cas, la recette était conforme à la nomenclature française.
Il n’existe qu’un seul document dans la collection de Mario (daté de 1931) dans lequel la recette est écrite en portugais et détaille la nature de la farce de l’oiseau : la dinde à la farofa. Même sans indiquer le motif ou le lieu de la fête, il reste la beauté du menu, illustré par la Tarsila do Amaral, et le ton ludique dans la description des autres nomenclatures des plats.
Bien qu’il soit peu possible d’affirmer ou de confirmer la continuité historique des recettes, la dinde farcie à la farofa s’impose comme une production culinaire festive qui est mise en valeur sur la table brésilienne encore aujourd’hui. Farofa, référence de la culture culinaire nationale, apporte également la saveur particulière de la diversité car chaque famille a sa propre façon de la fabriquer.
Paula de Oliveira Feliciano – São Paulo, le 25 décembre 2020.
Paula de Oliveira Feliciano est titulaire d’un master en cultures et identités brésiliennes par l’IEB/USP, est diplômée en gastronomie et post-diplômée en enseignement pour l’enseignement supérieur. Elle travaille comme responsable des projets Verakis Brésil et comme professeur dans les cours de premier et deuxième cycles en gastronomie au Centro Universitário Senac Campos do Jordão. En 2018, elle a suivi le programme de stage de la Fundació Alícia/Espagne, un centre de recherche sur la cuisine, la durabilité et l’impact social. Et en 2019, par l’Observatori d’Alimentació de l’Universitat de Barcelona (ODELA-UB), accompagnant les activités de recherche sur le tourisme gastronomique.
Sources
- SAVARIN, Brillat. A fisiologia do gosto. Tradução de Paulo Neves. São Paulo: Companhia das Letras, 1995.
- LELLIS, Francisco; BOCATTO, André. Os banquetes do imperador: menus colecionados por Dom Pedro II. São Paulo:Editora Senac São Paulo, 2013. Trechos em destaque, páginas 376-377.
- GARCIA, Lúcia. Para uma história da belle epóque: a coleção de cardápios de Olavo Bilac. São Paulo: Imprensa Oficial do Estado de São Paulo, 2011.
- FELICIANO, Paula de Oliveira. Modernistas à mesa: a coleção de cardápios de Mário de Andrade (1915-1940). Dissertação (Mestrado) – Universidade de São Paulo. Programa de Pós-Graduação em Culturas e Identidades Brasileiras. Área de concentração: Estudos Brasileiros. 2019.
- Podcast Instituto de Estudos Brasileiros da USP. Episódio número 82. A coleção de cardápios de Mário de Andrade (1915-1940). 2020. Disponível em: <https://anchor.fm/difusieb/episodes/082–A-coleo-de-cardpios-de-Mrio-de-Andrade-1915-1940-por-Paula-de-Oliveira-Feliciano-ehp0el>
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