17 de December de 2020

DE LA GRAINE AU BOURGEON VERAKIS – PARTIE 6

… Mes raisonnements concernant l’importance de la société et la culture sur les habitudes alimentaires continuaient:

 

Les maladies nutritionnelles, telles que l’obésité, par exemple, sont devenues un problème d’ordre public au niveau mondial. C’est le résultat du changement de mode de vie, ainsi que des habitudes alimentaires. L’homme des sociétés dites industrielles, des XXe et XXIe siècles est plutôt sédentaire et passif. Il ingurgite de nombreux aliments, aussi bien que des messages et informations qu’il emmagasine et qui font de lui un consommateur excessif. Il achète trop, il entend trop, il voit trop. Il travaille sans se dépenser et enfin il mange beaucoup et souvent de façon inadéquate.

Selon Sjöström et Stocley (2000), au Royaume-Uni, 45.8 milliards de dollars sont dépensés autour de l’obésité avec les maladies qui lui sont indirectement liées (hypertension, accident vasculaire cérébral, etc.). Or cette maladie peut très bien être évitée ou soignée par le simple changement d’habitudes alimentaires.

Il n’est pas si simple d’« éduquer » par rapport à l’alimentation et la nutrition surtout lorsqu’il s’agit d’un thème dont tout le monde parle, dont il existe de nombreux spécialistes et qui mobilise des enjeux économiques considérables. Il en va de même de l’application de la science de la nutrition à la vie de tous les jours. C’est pourquoi la nutrition est aujourd’hui « manipulée » par certains experts, parfois éloignés des réalités pratiques et du contexte de leurs interlocuteurs.

Il faudrait que les médiateurs de la science de la nutrition soient en accord avec le contexte réel des êtres humains qui sont exposés aux multiples messages concernant l’alimentation, la diététique et la nutrition, et dont l’environnement social, économique et émotionnel est aussi multiple et complexe.

La science de la nutrition doit être diffusée de manière modeste et responsable, dépouillée de son aura d’inaccessibilité, et consciente de l’impact positif ou négatif que tout message implique. Cette science est liée aux êtres humains dans leur complexité physique, sociale et émotionnelle. Les « dérapages » alimentaires, suscités en partie par des représentations symboliques mal maîtrisées ou par des manipulations à but commercial, peuvent faire des dégâts de santé, comme l’augmentation du nombre de cas d’obésité et de boulimie.

Mon dernier stage, de même que mes débuts dans la « vie professionnelle » se sont déroulés en milieu hospitalier ; là encore, j’ai pu constater que la science de la nutrition appartenait à tout le monde et à personne en même temps. Elle est aussi bien du ressort des médecins que des psychologues, des physiothérapeutes, des fonctionnaires, des professeurs d’éducation physique, etc. C’est à travers toutes ces disciplines qu’elle est  aussi appliquée, propagée, divulguée et vulgarisée.

Nous travaillions en équipe multiprofessionnelle, composée de médecins de plusieurs spécialités, nutritionnistes, psychiatres, psychologues, physiothérapeutes, orthophonistes, pédagogues, assistantes sociales, entre autres, et nous avions du mal à communiquer.

Même si nous parlions d’un même patient, de la même maladie et de son évolution, j’avais l’impression qu’on ne discutait pas avec les mêmes « mots » ; nous n’avions pas le même regard ni les mêmes attentes concernant les malades, chacun à travers le prisme installé par son cursus.

Ce n’est qu’au bout d’un grand nombre de réunions et discussions qu’on a pu travailler vraiment ensemble, échangeant nos points de vue et nos impressions, pour arriver  à ce que chacun puisse exprimer l’intégralité de son propos. Seuls les échanges de point de vue, de connaissances et d’expériences entre les membres d’une même équipe multiprofessionnelle nous ont permis d’arriver à une compréhension mutuelle.

La difficulté des médecins à communiquer avec leurs patients était évidente, que ce soit pour expliquer les diagnostics ou pour justifier les prescriptions. Les choses se passaient alors à peu près comme Emile Zola les décrit dans son roman La Terre, publié en 1887 (1973 : 387) : « M. Finet ne répondait pas, habitué à ces interrogations de paysans que la maladie bouleverse, ayant pris le parti sage de les traiter comme les chevaux, sans entrer en conversation avec eux. Il avait une grande pratique de cas fréquents, il les tirait généralement d’affaire mieux que ne l’aurait fait un homme de plus de science. Mais la médiocrité où il les accusait de l’avoir réduit, le rendait dur pour eux, ce qui augmentait leur déférence, malgré le continuel doute qu’ils gardaient sur l’efficacité de ses potions. »

Les constatations étaient les suivantes :

  • manger est plus compliqué pour l’homme qu’on ne l’imagine ;
  • la science de la nutrition est à la fois l’affaire de spécialistes et celle des profanes, puisque manger est un acte pour tout le monde, un acte d’abord biologique mais aussi social ;
  • malheureusement les professionnels de la santé ne sont pas toujours capables ou du moins enclins à transmettre leurs connaissances à leurs patients, ni même à les sensibiliser sur le rôle de l’alimentation ;
  • en développant la science de la nutrition, sous couvert de lutte contre l’empirisme, on a écarté l’homme de son intuition concernant l’alimentation, et on récupère ces connaissances pour faire de l’aliment, de l’alimentation et de la nutrition, des produits commerciaux.

La science de la nutrition, dont l’objectif est d’en finir avec l’empirisme et de guider l’humanité vers un mieux-être, est, en pratique, négligée. Malgré les connaissances accumulées laborieusement depuis à peu près trois siècles par les spécialistes, les gens ordinaires continuent à se nourrir sans en tenir compte le moins du monde.

Comme l’ont écrit Andrien et Beghin (1993 : 24), « l’acquisition des connaissances n’entraîne pas nécessairement une modification du comportement ; réciproquement de nouvelles habitudes peuvent se créer en l’absence de toute connaissance rationnelle. »

La situation demeure inquiétante, concernant non seulement la formation des habitudes alimentaires, saines ou nocives,  mais surtout dans le changement de ces habitudes.

Juliana T. Grazini dos Santos – Docteur en Information et communication, Nutritionniste, Créatrice de Verakis. 

 

Source: Morceaux de l’introduction de la ma thèse de doctorat: “La science de la nutrition diffusée au grand public en France et au Brésil – Le cas de l’alimentation maternelle infantile. Thèse dirigée par Baudouin JURDANT

 

[1] L’anémie est devenue un problème de santé publique dans des pays comme les EUA et le Brésil. Pour les autorités en santé publique et pour les chercheurs, le plus étonnant est que cette carence nutritionnelle n’a pas de rapport avec l’accès à des aliments riches en fer, les classes sociales aisées étant également touchées.

Dans le cas de l’anémie, il faut remarquer l’avantage de la justesse intuitive de l’alimentation casher, où le lait ne doit pas être mélangé aux viandes ; plusieurs siècles après, la science de la nutrition confirme que le calcium et le phosphore présents en grandes quantités dans le lait et les produits laitiers, rivalisent avec le fer, lors de leur assimilation, dans l’intestin grêle. Dans cette optique, il vaut mieux éviter de consommer du lait et des produits laitiers lors des repas contenant de la viande. Si le fer d’un repas vient des légumes il faudra d’autant plus éviter les laitages, et consommer une source de vitamine C, qui aidera à l’assimilation de ce fer  moins bien assimilable que celui de la viande. Ceci afin que le peu de fer contenu dans ces menus soit assimilé le mieux possible.

[2] Cuisine Collective : lieu de préparation des repas pour une collectivité.

[3] Ensemble de normes qui évitent la contamination des aliments et favorisent leur conservation.